09/07/2014

Du traumatisme infantile à la psychose

Clairement, le traumatisme, particulièrement dans l’enfance,exerce une puissante influence environnementale sur l’expression de la psychose. Quoi-qu’il en soit, jusque récemment, les modèles théoriques de psychose qui prennent en compte la signification étiologique du traumatisme, eurent de la peine à trouver leur crédit, mais, de nouvelles théories biologiques et cognitives proposent des modèles crédibles de la relation entre les traumatismes et le phénomène psychotique. Les modèles cognitifs ont mis en relief un certain nombre de mécanismes comportementaux qui pourraient entrer en compte dans la vulnérabilité à la psychose induite par l’expérience traumatique. Une de ces théories, souligne, que les facteurs partagés par l’enfant, dans son milieu, opèrent, à la fois,dans les les désordres comportementaux post-traumatiques et dans les présentations psychotiques. Cette construction, approche cognitive des hallucinations et des illusions, suggère qu’elle es loin d'être gnostiques. Ces deux conditions, peuvent représenter différents points d’un spectre de réponses aux traumatismes  par les mécanismes partagés tels les dissociations, les styles attributionnels, ou l’interprétation des intrusions. La notion centrale de cette théorie, c’est que l’expérience traumatique peut mener à des croyances négatives à propos du soi, du monde et des autres. comme le sentiment de vulnérabilité, l’absence de confiance à l’égard des autres ou la dangerosité du monde. Ce genre de formations rend les interprétations  inquiètes et les ambigüités de la vie quotidienne  potentiellement plus fréquentes. Il est démontré que ce qui précède forme une des conditions  la psychose. Une étude récente, a montré que de telles croyances issues spécifiquement des conséquences d’un traumatisme, sont associées à des expériences psychotiques.  Plus avant, on peut penser, que c’est la transparence du lien entre l’évènement traumatique, son  contenu et la forme de l’expérience psychotique qui conditionne  la perception sociale du  psychotique ou de la victime d’un traumatisme passé. Le modèle traumatogénique neuro-développental qui incorpore les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, indique que les anormalités du développement neurologique mis en forme par des expériences traumatiques antérieures, induisent une sensibilité augmentée aux sollicitations, sont largement acceptées comme une composante majeure de la schizophrénie. Ce modèle propose que les enfants traumatisés qui développent ultérieurement une sensibilité augmentée souffrent d’une dérégulation de l’entité  hypothalamus hippocampe adrénaline qui peut intervenir dans les anormalités dopaminergiques si centrales à l’anamnèse biologique de la psychose. D’autres chercheurs examinent aussi le rôle des processus dissociatifs, les styles d’attachement, et les biez cognitifs relatifs au traumatisme afin de mieux comprendre avec précision comment le traumatisme infantile peut mener à la psychose.

Henri James et Walter Besant

Récemment, nous profitions du plaisir singulier d’entendre le détail des opinions de Messieurs Walter Besant et Henri James, à propos de l’art qu’ils pratiquent. Deux hommes, certainement, d’un calibre très différent Monsieur James, à l’approche si précise, à la passe si subtile et si scrupuleux pour finir, et Monsieur Besant, si génial, si amical, si persuasif, et d’une veine humoristique si personnelle : Monsieur James est le vrai type de l’artiste construit, Monsieur Besant, l’incarnation d’une bonne nature. Que de tels médecins soient différents, ne surprend pas. Mais un point sur lequel ils agréent me remplit, je le confesse, d’émerveillement. Bien sûr, Ils sont tous les deux contents de parler fiction et Monsieur Besant nous peint sa position avec emphase en opposant l’art de la fiction et l’art de la poésie. Par art de la poésie il ne signifie rien autre que versification, artisanat que l’on ne peut comparer qu’avec la prose. C’est son élévation et la chaleur d’une émotion saine que nous nommons poésie, cette qualité est vagabonde et libertine ; présente partout, toujours, n’importe où, dans n’importe quel art, mais le plus souvent absente de tous, trop rare dans le roman, trop souvent absente des odes et des pièces épiques. La fiction est dans le même cas ; ce n’est pas un art substantiel, mais un élément qui entre largement dans tous les arts sauf l’architecture. Hume, Wordsworth, Phidias, Hogarth et Salvinia, pour ne mentionner qu’eux, tous jouent avec la fiction et ses perspectives comme le font monsieur Besant par sa lecture si intéressante et comme le font les charmants essais de monsieur James Et si on essaie de définir l’art de la fiction, le cadre devient à la fois ample et insuffisant. Laissez moi suggérer une autre définition. Ce que messieurs James et Besant avaient en vue n’était ni plus ni moins l’art de la narration. Mais monsieur Besant semble anxieux d’être le seul à parler du roman anglais moderne,la position et le gagne-pain de monsieur Maudie est chez l’auteur d’un roman de cette mouture plutôt plaisante, Toutes sortes d’hommes et de Conditions, le désir semble assez naturel. J’en déduis qu’il propose deux additions et qu’il faut lire : l’art de fiction narrative en prose. Le fait de l’existence du roman anglais moderne, ne peut être nier ; matériellement, avec ses trois volumes, ses contre types de plomb et ses lettrines enluminées, il est possible de le distinguer parmi les autres formes de littérature. Pour parler utilement d’une branche de l’art, il est nécessaire de construire nos définitions sur des bases plus fondamentales. Pourquoi nous demande-t-on d’ajouter en prose ? L’Odyssée m’apparait comme le meilleur des romans ; La Dame du Lac tient sa place au second rang ; Les Légendes et les Prologues de Chaucer qui contiennent plus d’art et de matière du roman anglais moderne, que tout le trésor de Monsieur Maudie. Ecris en vers blancs ou en stances spencériennes, pendant la longue période de Gibbon ou dans la phrase ouvragée de Charles Reade, les principes de l’art de la narration doivent être également observés. Le choix d’un style prosaïque noble et redondant affecte la question de la narration d’une manière équivalente, sinon à un degré identique, que le choix de vers métrique ; tous deux impliquent une synthèse plus précise des évènements, un ton plus adéquat dans les conversations, des options de mots plus judicieuses et plus synthétiques. Si vous refusez Don Juan, pourquoi accepter Zanoni ? Et pour opposer des travaux de valeur différente La Lettre Écarlate. Quelle discrimination vous fait ouvrir vos portes au Progrès du Pèlerin alors que vous les fermez à La Reine des Fées? Approchons-nous de monsieur Besant en lui proposant un imbroglio. Une narration du nom de Paradis Perdu fut écrite en Anglais et en vers par un certain John Milton ; Qu’était-ce alors ? Puis, Chateaubriand la traduisit en français et en prose; Qu’était-ce alors ? Finalement un mien compatriote la récrivit sous forme de roman en plein anglais. Alors, au nom de la clarté, qu’était-ce donc ? Mais, une fois de plus, pourquoi devrions nous rajouter « fictif », la raison en est évidente et une dialectique raisonnée des contraires quand elle s’oppose à ce qui précède ne justifie pas de la prétention de ses arguments. L’art de la narration, en fait, est le même qu’il soit appliqué à la sélection et à l’illustration des séries réelles ou imaginaires d’évènements. La Vie de Johnson de Boswell à l’art subtil et inimitable doit son succès à des manœuvres techniques similaires a celles, pour dire quelque chose, de Tom Jones. ; la conception claire de certains caractères humains, le choix et la présentation de certains incidents parmi le grand nombre offert et l’invention, et oui, l’invention et la préservation de certaines clés de dialogue. Où peut-on les découvrir avec plus de naturel et de vérité, c’est au lecteur de le décider. Boswell est, vraiment un cas spécial, presque générique, mais ce n’est pas que dans Boswell, chaque biographie écrite avec inspiration en contient. Dans toutes les histoires où on présente les hommes et les évènements de préférence aux idées, chez Tacite, chez Carlyle, chez Michelet et chez Macaulay, le romancier trouvera le catalogue méticuleux et adroit de ses propres méthodes. Il découvre, en outre, que lui aussi est libre et qu’il a le droit d’inventer ou de dérober un incident égaré et le droit plus précieux encore d’une omission totale ; mais il est fréquemment défais et, avec tous ses avantages, ne laisse que l’impression d’une réalité et d’une passion moins forte. Monsieur James dévoue sa foi à une ferveur adventice dans le sacrement de la vérité donné au romancier. Un examen plus attentif de la vérité nous montre une propriété d’une origine plus discutable non seulement pour ses travaux mais aussi pour ceux de l’historien. L’art ne peut rivaliser avec la vie, pour employer l’expression hardie de monsieur James et celui qui l’espère est condamné à mourir montibus aviis.La vie, aux variations infinies, nous précède, attendue par les plus différents et les plus surprenants des météores ; attirant l’œil, l’oreille, l’esprit, et, siège de merveille, le toucher, d’une délicatesse si exquise, le ventre si impérieux, quand il est affamé. Il combine et emploie dans ses manifestations, les méthodes matérielles, non plus d’un seul art, mais de tous. Qu’est la musique ? Sinon un refrain arbitraire, écho des cœurs majestueux de la nature ; la peinture n’est que l’ombre d’une scène paysanne faite de lumière et de couleurs. La littérature ne fait qu’indiquer sèchement une foule d’évènements, d’obligations morales, de vices, de vertus, d’actions, de captures et d’agonie dans lesquels elle se dissout, afin de combattre pour la vie. Qui possède le soleil que nous que nous ne dominons pas? Quelles sont les passions qui font de nous des infirmes, de pauvres égarés sacrifiés ? Pour rivaliser avec le parfum du vin, la beauté de l’aube, la danse du feu, l’amertume de la mort et de la séparation, Ici, voici une ascension prévue vers l’Empyrée. Les voici, les travaux d’Hercule en manteau et armé d’une plume et d’un dictionnaire, armé d’un gros tube de blanc de zinc de première qualité afin de peindre le portrait de ce soleil qu’on ne peut souffrir. Dans ce sens, l’art n’est rien, rien ne se compare à la vie, ni l’histoire bâtie sur des faits indiscutables qui ne lui restituent jamais la moindre parcelle d’immanence, à un point tel que le sac d’une cité ou la chute d’un empire n’éveille notre admiration que par le talent que nous permet d’admirer l’auteur si nous ressentons quelque émotion à sa lecture. Remarquons pour faire une dernière différence, que cette accélération du pouls est, dans la plupart des cas, purement agréable ; que ces reproductions fantomatiques de l’expérience, même les plus graves, convoient du plaisir. Alors que l’expérience elle-même, dans l’arène de la vie, peut torturer et abattre. Quel est donc l’objet ? Quelles sont les méthodes de l’art ? Quelle est la source de ses pouvoirs ? Le vrai secret est que l’art ne peut rivaliser avec la vie. Les méthodes imaginées et raisonnées des hommes les aveuglent face à la vie, confuse et imprévisible. Leurs arts, l’arithmétique et la géométrie quittent du regard la nature massive, colorée et mobile, à nos pieds et préfèrent contempler une certaine abstraction. La géométrie nous parle du cercle, chose inconnue dans la nature, si c’est un cercle vert ou un cercle de fer, alors elle met ses mains devant sa bouche. Il en est ainsi aussi pour les arts. La peinture vite comparée aux rayons de soleil ou à la blancheur des flocons, donne de la vérité à la couleur, comme elle lui avait déjà donné du relief et du mouvement. Elle n’envie pas la nature mais harmonise ses teintes. La littérature exprime sa tendance la plus typique, son humeur narrative qui s’évade de la confrontation immédiate en poursuivant un but créatif indépendant. Elle n’imite rien, si ce n’est la parole, rien des faits de la destinée humaine, mais magnifie les emphases et les omissions que l’acteur leur dicte. Les seul art réel qui incarna la vie directement fut celui des conteurs qui racontaient leurs histoires autour du feu. Notre art s’occupe davantage de pittoresque que de vérité, non en capturant les linéaments de chaque fait mais en les organisant à une fin commune. Le Maelström des impressions, toutes inévitables et discrètes, qu’offre la vie, substitue des séries artificielles de perceptions faiblement représentées, tout tendu vers le même effet, de toutes les mêmes idées éloquentes, vibrant tout ensemble comme des notes consonantes ou comme les teintes graduées d’une bonne peinture. De tous ses chapitres, de toutes ses pages, de toutes ses phrases, le roman bien écris répercute en échos concentriques sa pensée créative et contrôlée, chaque incident et chaque caractère y contribue ; le style doit s’accorder à l’unisson ; et s’il y a, où que ce soit, un mot qui regarde ailleurs, le livre en serait amélioré et clarifié et connaitrait, si j’ose dire, plus de plénitude, sans lui. La vie est monstrueuse, infinie, illogique, abrupte et poignante ; en comparaison, une œuvre d’art est finie, limitée, rationnelle, flottante et castrée. La vie s’impose par une énergie brute, comme le tonnerre inarticulé ; l’art interpelle l’oreille au milieu des autres sons, bien plus bruyants de l’existence, comme un air inventé par un musicien discret. Un théorème de géométrie ne peut concourir avec la vie bien qu’il soit un parallèle lumineux et équitable pour une œuvre d’art. Tous deux sont raisonnables mais n’en restent pas moins faux jusqu’au détail, ils sont inhérents à la nature mais aucun ne la représente. L’œuvre d’art qui s’appelle un roman existe, non par sa ressemblance à la vie, qui est forcée et matérielle. Comme une chaussure qui doit être faite de cuir et sa forme définie et significative qui met, entre elle et la vie, une distance immesurable de méthodes et de sens du travail. La vie d’un homme n’est pas un sujet de roman, mais le magazine inépuisable où on choisit des sujets; leurs noms sont indénombrables. Pour chaque nouveau sujet, et ici ma position diffère franchement de celle de monsieur James, l’artiste vrai variera sa méthode et changera son point d’attaque et ce qui deviendra une marque d’excellence chez l’un ne fera que de mettre en abime les faiblesses d’un autre. De quoi est faite la fabrication d’un livre, voilà une question qui risque d’attirer des interprétations impertinentes ou sottes. Premièrement, chaque roman, existe seul, ensuite chaque classe de romans coexiste, indépendante. Prenons, par exemple trois classes principales assez distinctes : d’abord, le roman d’aventure qui en appelle aux tendances illogiques et sensuelles de la nature humaine, ensuite, le roman psychologique, qui demande une appréciation intellectuelle des faiblesses de l’homme confronté et mêlé à des motifs inconstants et finalement, le drame qui gère la même matière que le théâtre classique qui suscite le jugement moral et excite notre nature émotionnelle. D’abord, monsieur James soutient une position singulièrement généreuse pour le roman épique, cherche dans un petit livre le trésor caché et laisse tomber quelques mots sensationnels. Dans ce livre, il lui manque ce qu’il nomme le luxe immense de pouvoir se quereller avec l’auteur. Le luxe, pour la plupart d’entre nous, est un substrat de notre jugement près de tomber sur le billot de la légende, puis la lucidité nous réveille et commence à distinguer et à trouver les fautes quand le volume est terminé et rangé. Monsieur James avance une raison encore plus remarquable. Il ne peut pas critiquer l’auteur dans son cheminement en le comparant à une autre œuvre, parce que, dit-il, enfant, je ne suis jamais parti à la chasse au trésor. En voici un paradoxe prémédité, car s’il n’est jamais parti à la chasse au trésor, il peut être aussi démontré que jamais il ne fut un enfant. Il n’y eut aucun enfant (jusqu’à Maître James) qui ne devint chercheur d’or ou pirate, chef militaire ou bandit des montagnes, ni combattu et souffert, connu le naufrage et la prison, qui n’ont trempé leurs petites mains dans le sang. Aucun qui ne quitta avec élégance le champ de la défaite et qui jamais ne protégea l’innocence et la beauté. Ailleurs, dans son essai, monsieur James, avec raison, proteste contre une conception trop étroite de l’expérience car l’artiste né métamorphose les indices les plus ténus de l’existence et les convertit en révélations ; c’est vrai, je pense, dans la majorité des cas, l’artiste écrit avec plus de gout et d’effet à propos de ce qu’il souhaite plutôt que de la réalité. Le désir est un télescope merveilleux, et Pisgah le meilleur observatoire. Et s’il est sans doute vrai que ni l’auteur ni monsieur James ne sont jamais partis à la chasse au trésor, au sens matériel de la chose, probablement ont-ils imaginé les détails d’une telle existence dans leurs rêveries adolescentes. Et benoitement, l’auteur, honte soit sur son petit calcul, s’approprie cette catégorie d’intérêt en sachant pertinemment qu’il accèdera, par ces sentiers battus, à la sympathie du lecteur, nécessaire à son négoce et se voue ainsi à la construction et à l’instanciation de rêves de garçonnet. La psychologie est opaque à la compréhension d’un adolescent ; pour lui, un pirate est une barbe, une paire de larges pantalons garnie de deux beaux pistolets. L’auteur, parce qu’il a un peu grandi, pour sauver l’argument, admet du tempérament, dans certaines limites, à ses personnages. Les caractères ont-ils été conçus pour un autre rôle ? Dans une toute autre intention ? Pour ce roman d’aventure élémentaire, les caractères n’ont besoin que d’une qualité : guerrière et formidable. Et si leur action au combat se montre insidieuse et fatal, alors, le but est atteint. Le danger est la matière de cette classe de romans, la peur son principal ressort et les caractères ne sont portraiturés que pour réaliser le sens du danger et provoquer la sympathie pour la peur. Pour ajouter plus de traits, pour être plus astucieux, pour lâcher la bride de la curiosité morale ou intellectuelle quand nous courrons le lièvre de la curiosité matérielle, non pour enrichir votre conte mais pour le ridiculiser. Le lecteur sot s’en offenserait et le lecteur clairvoyant perdrait le fil. Le roman psychologique diffère des autres parce qu‘il requiert une cohérence de dessein, et pour cette raison, comme dans le cas de Gil Blas, on l’appelle parfois roman d’aventure. Il tourne autour des rumeurs sur les personnes représentées; ils sont, pour plus de sureté, impliqués dans les évènements, mieux, ce sont les évènements eux-mêmes, qui, tributaires, n‘ont pas besoin de suivre une ligne de progression et peuvent s‘incarner statiquement. Comme ils sont entrés, ils peuvent sortir. Comme ils n’évoluent pas, ils doivent être consistants. Monsieur James reconnaitra le ton de la plupart de ses écrits: il traite pour la plus grande part de la statique psychologique, l’étudiant en nature morte, parfois légèrement déplacée et, avec son instinct artistique délicat et juste, il évite les passions excessives qui déformeraient les attitudes qu’il aime étudier. Il change les rôles de ses protagonistes. ils passent d’humoristes de la vie quotidienne à l’expression brutale et aux types sans apprêt d’autres moments émotionnels. Dans son récent L‘Auteur de Beltraffio, si bien conçu, si agencé, si net dans la conception, on y trouve, aussi, l’usage de fortes passions sans pour autant les exhiber. Le travail de la passion est évincé, même chez l’héroïne; et le grand combat, la vraie tragédie, La Scène à Faire (en français dans le texte) passe inaperçue derrière les lourds panneaux de la porte fermée. L‘invention délectable du jeune visiteur, est introduite, consciemment ou non dans ce but : ainsi monsieur James, fidèle à sa méthode, peut faire l’impasse sur la scène de la passion. Que le lecteur ne pense surtout pas que je sous estime ce petit chef d’œuvre. Je veux simplement dire qu’il appartient à une classe déjà définie et qu’il se serait vu, conçu et traité d’une manière tout autre pour peu qu’il eût appartenu à une autre catégorie, que je vais évoquer maintenant. Je prends plaisir à nommer un drame de ce nom parce qu’il me permet de soulever une fausse conception étrange, particulière et anglaise. On suppose parfois que le drame se compose d’incidents, de passions qui donnent à l’acteur son moment de bravoure et qui doivent s’amplifier, car sans quoi, pendant le déroulement de la pièce, il n’aurait plus les moyens de recréer de l’intérêt jusque la fin. Une bonne pièce sérieuse doit donc être entièrement fondée sur les carrefours des passions où le devoir et les affinités viennent noblement la rescousse ; et c’est aussi vrai pour ce que j’appelle, pour cette raison, le drame. Je vais citer quelques spécimens qui en valent la peine : Rhoda Fleming de Meredith, ce livre merveilleux et douloureux, qui n’est plus sous presse et que l’on connait, chez les bouquinistes, comme le loup blanc. Une Paire d’Yeux Bleus de Thomas Hardy et deux livres de Charles Read : La Déconfiture de Griffith et Le Double Mariage d’abord nommé Mensonges Blancs et fondé, par un accident favorable à ma nomenclature, sur une pièce de Maquet, partenaire du grand Dumas. Dans ce genre de roman, la porte close de L’Auteur de Beltraffio doit s’ouvrir toute grande ; la passion doit apparaitre sur la scène et prononcer son dernier mot ; c’est elle est tout et la fin de tout, le problème et la solution, à la fois protagoniste et Deus Ex Machina. Les personnages peuvent arriver n’importe comment sur scène, on s’en fiche. L’important, avant qu’ils ne s’en aillent, c’est la transfiguration et l’assomption que la passion leur arrache. C’est peut-être une part de l’intention de décrire en détail, de dérouler les personnages sur toute leur longueur et de les maintenir, rougeoyants et changeants dans le fourneau des émotions. Mais, il n’y a aucune obligation ; de bons portraits ne sont pas requis et nous nous contentons de types plus abstraits si leur facture est franche, forte et sincère. Ce genre de roman peut posséder de l’ampleur sans contenir d’individualisation, il peut en posséder parce qu’il montre le travail d’un cœur perturbé et l’exercice impersonnel des passions. Chez l’artiste de second ordre, il peut grandir encore, quand l’intrigue le conduit à focaliser toute la force de son imagination et à la diriger sur la passion seule. L’astuce, à nouveau qui possède son pré carré dans le roman de caractère est exclue des entrées de théâtres plus solennels. Un motif, pêché un peu loin, une ingénieuse digression nous éloignant du sujet, une tournure plus spirituelle que passionnée, nous offense comme un manque de sincérité. Tout devrait être d’un seul tenant, sans détours jusque la fin. Voilà ce qui soulève les ressentiments du lecteur, ses motifs sont trop vagues, ses façons trop équivoques pour le poids et la force de ce qui l’environne. Balzac, dans La Duchesse de Langeais, commence par une forte passion et l’éteint par une panne de montre du héros. De tels personnages et de tels incidents appartiennent au roman de caractère ; ils sont déplacés dans la bonne société des passions. Quand toute la puissance des passions fait son irruption dans l’art, nous voulons les voir, non pas bouffies et agitées d’impuissance comme dans la vie, mais gouvernant par-dessus les circonstances, et faute de foi, jouer de substitutions. J’imagine, ici, monsieur James. Intervenant, avec sa lucidité habituelle en éveil. Il fera sans doute l’ingénu pour ceci et acquiescera impatiemment pour cela. C’est sans doute vrai, mais ce n’est pas ce qu’il désire dire ou entendre. Il parle de l’ensemble quand il est terminé. Moi, des brosses, de la palette et de l’étoile polaire. Il distille ses vues dans le ton et pour les oreilles de la bonne société et moi avec les emphases et les mécanismes d’un étudiant obstructionnistes. L’argument n’est pas là pour amuser le public mais pour tenter d’offrir un avis utile au jeune écrivain. Et la description minimale d’un art dans sa méthode la plus élémentaire est, à cet égard, plus utile que les descriptions évasives, idéales, d’images transcendantes auxquelles nous aspirons. Ce qu’on peut lui dire de mieux c’est de choisir le motif quelle que soit la passion, de construire attentivement son intrigue et de faire en sorte que chaque incident illustre le motif. Que chaque propriété utilisée s’harmonise le mieux possible en matière de congruité et de contraste; d’éviter les actions secondaires. Pourtant, Shakespeare en emploie, comme contre-champ, en inversion de l’action principale. Ne pas souffrir de voir le style trainer sur l’argument ; saisir le ton de la conversation, non par la première pensée entendue au café, mais avec l’œil fixé sur la passion qui s’exprime, éviter systématiquement d’introduire, dans le cours de l’ouvrage, aucun propos ou aucune situation qui pourrait distraire du déroulement de la narration, intervenir sur son caractère ou, proférer des phrases qui ne font pas du tout partie de l’activité mise en œuvre, par le thème romanesque abordé, dans une histoire faite de discussions sur les problèmes impliqués. Ne le laissons pas regretter son livre ainsi raccourci c’est mieux ainsi. Ajouter des commentaires sans importance sert plus à mettre en pièce qu’à encourager. Pardonnons-lui de rater mille interprétations, s’il conserve, inaltérées, celles choisies. Ne lui en voulons pas de rater le ton de la conversation, le détail piquant, âcre ou mordant que suscitent les manières du jour, ni d’oublier la reproduction de l’atmosphère et de l’environnement. Ces éléments ne sont pas essentiels : un roman peut atteindre à l’excellence et n’en posséder aucuns : une passion ou un tempérament sont des tendances mieux décrites si elles émergent, clairement, des circonstances matérielles. En cet âge de particularisme, rappelons-lui les âges d’abstraction, ceux des grands livres du passé, souvenons-nous des hommes braves qui vécurent avant Shakespeare et Balzac. Comme racine de toute l’affaire, gardons-lui à l’esprit que le roman n’est pas une transcription de la vie à juger sur son exactitude. La simplification de certains de ses aspects ou de situations particulières est l’alchimie propre au roman, Cette simplicité le fera exister ou disparaitre. Nous observons et admirons, chez les grands hommes que travaillent de grands motifs, cette complexité qui ne nuit pas à la netteté des apparences et conserve la vérité intacte : cette simplification fut leur méthode et cette simplicité leur excellence.

R.L.Stevenson, Souvenirs et Portraits,

Chatto & Windus, Ballantine Press, London, 1917

28/05/2014

Musique et Architecture

 

L'action et l'expérience se répondent, on peut mourir vite ou durer longtemps, partir d'un principe ou d'une variétés d'impressions, tonitruer, adoucir ou naviguer dans l’ambiguïté. Le présent est farci des expériences du passé que le besoin fait se manifester coloré par la symphonie de la résonance. Dites-moi, vous qui me semblez sensible aux effets de l'architecture, n'avez vous jamais remarqué en flânant dans la cité parmi tous ces immeubles peuplés, certains sont muets, d'autres parlent et certains plus rares chantent. Commençons par expérimenter cette complicité entre l'architecture et la musique, évoquons, en connaisseurs de l'art de construire , les photographies et les dessins desthermes de Vals, en Suisse par Peter Zumthor. Feuilleter ces pager est une chose, vivre l'expérience de la construction personnellement en est une autre. La constellation de ces chambres de bain organisée autour d'une d'une piscine intérieure centrale et d'une autre, extérieure, périphérique faites de murs en granite local, empilé haut, crée un environnement à la fois primitif et sophistiqué pour les sens de la vue et de l’ouïe. Pour la première visite, explorons, le mieux possible, les espaces de bain et leurs températures différentes. Le bain des grottes reste le favori, dans l'eau jusque la taille, déplaçons nous lentement vers l'étroit tunnel qui relie le grand bain extérieur avec cet espace beaucoup plus intime en carré tout en hauteur. Simplement éclairé par de petites lumières enfouies dans le sol, il donne la sensation d'un espace privé. Deux autres baigneurs sont déjà suspendus dans l'eau clair et se tiennent à la rampe tubulaire de cuivre qui coure tout autour des quatre murs. Après un ajustement visuel à l'espace lumineux évanouissant, un son léger, un soupir dans l'air nous fit remarquer les expressions plaisantes et ludiques adoptées par les visages des autres baigneurs. Que se passait-il? Apparemment, les rugueux à-plats de granit rendaient quelque peu audible le murmure des respirations. En recherchant l'accord vocal, chaque baigneur trouve rapidement une résonance sympathique entre corps et espace en fredonnant lentement dans un ambitus de fréquences différentes. En ajoutant les nôtres à ce concert impromptu, nous ne pouvions plus quitter la puissance de l'espace qui ridait nos corps des vibrations de l'air tout en les caressant d'eau chaude claire. Nous nous rappelons de cette expérience si vivement parce qu'elle combinait la plus sensible des vulnérabilités, presque nus et sans accessoires pour se défendre et simultanément, un moment sensoriel fait de vision et de son. Du point de vue de cette perspective, les torrents thermaux de Vals nous transportent vers une époque bien plus primitive, quand les humains furent prévenus de la puissance de leurs voix et des autres sons. Stephen J.Waller soutient que l'art paléolithique, à Lascaux, au Vallon des Roches résultaient de conditions acoustiques et culturelles particulières. Waller suggère que les facteurs d'outils du paléolithique , par le son de ceux-ci, créaient des échos qui, dans le lointain, semblaient le galop des hardes évanescentes et convoitées, invisibles. Elles incitèrent ces hommes à les saisir par la forme. Le son devint générateur des arts visuels. Après de nombreux millénaires, l'architecte grec Polyclète concevra l’amphithéâtre semi-circulaire d'Epidaure en 300 avant Jésus-Christ que l'on utilise encore aujourd’hui afin d'y donner des spectacles dramatiques. La forme du théâtre et de son environnement naturel creusée dans une colline devient un amplificateur de sons très précise quand les acteurs se produisent dans le skene. Ici, comme au paléolithique, des créateurs en techniques visuelles et sonores comprirent comment collaborer avec la nature pour l'avancement de leur art.. Á l'époque romaine, Vitruve (-80°-25), écrivain, architecte et ingénieur écrit De Architectura. . Il infuse les préoccupations auriculaires dans les espaces intérieurs et naturels. Dans le livre V, au chapitre de la théorie musicale, il utilise la nomenclature grecque pour exposer les différents types de modulation, les notes et les tétracordes. Il insiste aussi pour que les architectes connaissent les principes acoustiques de base en citant pour exemple «les acteurs qui s'accompagnant eux-mêmes à la lyre, dans un théâtre de bois, quand ils veulent chanter plus haut, se tournent vers les portes de la scène et profitent du support harmonique que ces surfaces peuvent offrir à leur voix.» Pendant la Renaissance, la musique et l’architecture eurent une relation bien plus formelle que durant l'apogée des civilisations grecques et romaines. Le 25 mars 1436, la première du motet de Guillaume Dufay, Nuper Rosarum Flores,pour la consécration de la cathédrale de Florence. Dufay (1397-1474) écrit ce motet polyphonique en y incluant deux voix de ténor à l'unisson, aux mêmes symétries isorythmiques, en songeant, apparemment, au double dôme de la cathédrale conçuFilippo Brunelleschi entre 1420 et 1461. Quatorze ans plus tard, le polygraphe Leon Batista Alberti écrit, inspiré par Vitruve,De Re Aedificatoria et les nombres plus que l'acoustique deviennent la nouvelle focale dans la relation entre l'architecture et la musique. Rudolf Wittkower paraphrase Alberti quand il écrit que «la musique est une géométrie sonore, ses harmoniques informent de la géométrie de l'immeuble. L'écart structurel entre la musique et l’architecture est désormais bien défini. Si l'auditeur peut entendre les mêmes harmoniques utilisées dans l'architecture par la musique. Mais il y a peu de liens entre la musique et ses espaces architecturaux, Géométrisée, la musique perd sa relation à la matière dans l'expérience spatiale du son. Il n'est pas surprenant que les architectes de la Renaissance concentrèrent leur effort sur la mesure des proportions de l'espace plutôt que sur ses propriétés acoustiques plus spécialement à l'aide du nombre d'or et de la suite de Fibonacci utilisés comme outils générateurs pour de nombreux bâtiments. Les maisons de campagne d'Andrea Palladio (1508-1580), les exquises villasRotonda et Barbaro à Maser dans l'Italie du nord. Toutes, utilisent des ordonnancements formels tels la symétrie, le carré, les proportions harmoniques tout en reliant simultanément les espaces architecturaux à la campagne environnante. Le traité de Palladio I Quattro Libri dell' Architettura fait le plein des connaissances de l'art de construire mais nulle part il ne s'intéresse explicitement au son que ces immeubles pourraient produire. Cela ne signifie pas que de beaux espaces acoustiques n'existaient pas à la Renaissance mais ils restaient peu nombreux et fort dispersés. La Musique, naturellement, prit aussi une avance considérable en se distinguant des temps médiévaux. En l'espace de trois cent ans, les structures sonores monophoniques simples mais belles d' Hildegard von Bingen (1098-1179), dans O Viridissima Virga, l'Ave des Cantiques de l'Extase ont montré l'exemple de compositions polyphoniques relativement complexes à la Renaissance. Maddalena Casulana (1540-1583) qui créa son art et la poésie des autres en les tissant finement dans le réseau des quatre voix contrapuntiques de son célèbre Il Primo Libro di Madrigali a quattro voci en 1568. beaucoup de ces compositions sont chantées à l'intérieur d'espaces sacrés et leur long temps de réverbération; même les demeures privées possèdent de meilleurs caractéristiques acoustiques dues à leur hauteur de plafond et à des matériaux résonnants similaires à ceux qu'on peut trouver aujourd'hui. Du coté de l'architecture, ce n'est qu'en 1727 que le mathématicien suisse Leonhard Euler (1707-1783) publie le premier ouvrage théorique post vitruvien sur le son avec Dissertatio Physica de Sono. Le jésuite allemand Athanasius Kircher (1601-1680) écrit un des premiers traités sur le son, Phonurgia Nova (1673), il y offre d'extraordinaires exemples d'instruments architecturaux pour entendre les domestiques dans la maison et faire parler les statues. Le travail avait du souffle, il n'avait pas la profonde compréhension théorique d'Euler. Ailleurs, le physicien allemand Ernst Chladni (1756-1827) mis au point les principes de l'analyse acoustique avec ses recherches sur les plateaux vibrants, il invente une méthode pour rendre le phénomène vibratoire visible en jouant de l'archet sur un plateau de métal uniformément recouvert de poudre fine. Cette technique est publiée en 1787, dans son ouvrage Entdeckungen uber die Theorie des Klanges, incita le scientifique suisse Hans Jenny (1904-1972) au vingtième siècle à explorer les schémas produits par les ondes sonores dans différents milieux, les fluides, les poudres, les liquides etc. Son livre Cinématique: Étude du Phénomène des Vagues (1967) témoigne de cette recherche. Les premiers signes d'un engagement post épidaurien entre la musique et l'architecture attendra 1723 quand Jean Sébastien Bach (1685-1750) devint maître de chapelle à la Thomasschule, se mit à l 'orgue et dirigea le chœur de l'adjacente Thomaskirche à Leipzig en Allemagne. Cette église luthérienne, assez petite, avec un temps de réverbération plus court que n'importe quel édifice religieux médiéval existant en Europe permit à Bach de composer des mélodies polyphoniques complexes en usant de techniques contrapuntiques. L'espace, relativement sec, permet à l'auditeur de distinguer clairement la progression des accords et lui alloue ainsi l'écoute d'une musique à la complexité sans précédent dans un espace publique. Si ceci s'opérait dans le domaine sacré de la musique d'église, parallèlement, dans le monde profane du spectacle dramatiques, le renouveau voyait le jour. En Italie, vers le milieu du XVIIième. , l' opéra occupait le devant de la scène, il fallut néanmoins un siècle de plus pour construire un édifice approprié à ses performances. Le plan de Giuseppe Piermarini pour l'opéra de La Scala construit au bon endroit sur le site de l'église Santa Maria alla Scala, démolie à Milan entre 1776 et 1778 se fit le point de départ d'un grand nombre d'autres espaces de spectacles publics et ainsi transformer les interactions entre la musique, l'architecture et les arts dramatiques pour les 250 années suivantes. Pour l'oreille du connaisseur,le théâtre ovale Gewandhaus à Leipzig était le nec plus ultra au XVIIième.L'immeuble ne ressemblait en rien à celui d' Epidaure mais la capacité de résonance de ses surfaces intérieures en fit le précurseur de beaucoup de lieux musicaux de haute qualité. L'acoustique des ces espaces continuait pourtant à être basée sur une compréhension scientifique incomplète. Ce n'est qu'en 1962 que l'expert en acoustique Leo L. Beranek né en 1914, publia un livre Musique, Acoustique et Architecture qui révolutionna la perception des scientifiques et des artistes, il y analyse une série de salles au long de l'histoire et fournit aussi un langage pour décrire les caractéristiques acoustiques de ces immeubles. Il explique que nous avons besoin d'un idiome commun au trois disciplines pour comprendre les relations entre la musique, l'acoustique et l'architecture. Aujourd'hui, les architectes continuent à conjurer Epidaure sans retrouver l'épitomé originel du spectacle dramatique. L'architecte Gottfried Semper (1803-1874) y arriva presque avec son plan pour le théâtre de Munich, projet qui incorporait le demi cercle d' Epidaure dans un espace de style Renaissance. Initié par le compositeur Richard Wagner (1813-1883), que Semper connaissait et financé par le Roi de Bavière, le projet ne fut jamais réalisé. Et Wagner créa sa propre version, plus petite, à Bayreuth (sans en offrir le crédit à Semper qui avait eu la première idée). Il fit progresser à la fois les expériences musicales et spatiales dans le théâtre de Bayreuth qui représenta, pour assez longtemps, l'ultime intersection des arts. Paradoxalement, Wagner insistait, dans son intention, pour séparer visuellement la musique instrumentale, c'est à dire l'orchestre, du public et des chanteurs afin de créer un sentiment de communion sensuelle où la musique instrumentale viendrait de nulle part. Une section verticale du bâtiment montre la fosse d'orchestre munie d'un toit pointant vers la scène. L'espace, presqu'entièrement fermé contribue à la présence vocale des chanteurs au détriment de la projection instrumentale de l'orchestre vers le public. Il est vraisemblable que le format de l'orchestration wagnérienne grandit non seulement à cause de compositions aux dynamiques de plus en plus exigeantes mais aussi à l’idiosyncrasie et à la disposition du lieu. Si le théâtre de Wagner présentait une régression du point de vue acoustique, ses explorations musicales, au bord de l' atonalisme, devint le fondement du travail du compositeur et théoricien Arnold Schoenberg (1874-1951). A son tour, la musique dodécatonale de Schoenberg fut libérée par les compositions athématiques sérielles de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) qui, pour les vingt ans qui suivirent prit de plus en plus en compte la construction spatiale de ses compositions qui culmina dan sa pièce Spiral au pavillon allemand de l'exposition d'Osaka au Japon en 1970. Là, l'audience se trouvait suspendue dans le plan équatorial de la sphère. Incidemment, c'est durant cette exposition mondiale que Iannis Xenakis (1922-2001) jouera sa composition électro-acoustique Hibiki Hana Ma dans le pavillon de la fédération nipponne de l'acier. Tous deux, Stockhausen et Xenakis, exhibent une sensibilité unique dans la relation entre l'espace et le son. plusieurs travaux de Xenakis, tel Psappha , par exemple qui demande que l'audience soit assisse en cercle entourés par un certain nombre de haut-parleurs. L'espace architectural devient un instrument. Peter Zumthor augmente la compréhension sensorielle de l'architecture en incluant son rôle comme instrument musical. Il écrit: «écoutez, les intérieurs sont comme de grands instruments qui collecte le son, l'amplifie et le transmette ailleurs. Comme empruntant une page de Zumthor, le groupe Music Architecture Sound (M.A.S.S.) crée des installations terre-harpe depuis quelques années. Il transforma aussi une des icônes du modernisme à Chicago,le Mies van der Rohe's Crown Hall, construit, à l'origine sur le campus ITT entre 1950 et1956, en instrument à cordes avec lequel, le groupe étudia la résonance entre les matériaux de l'immeuble de verre et d'acier et l'espace qu'il enferme. Ces performances/exhibitions approche l'équilibre musical d'un immeuble dans son entièreté dans le sens du mot allemand stimmung qui signifie, à la fois, atmosphère et accord. Ici, la composition et la production de musique convergent dans le jeu de l'espace architectural. L'approche expérimentale de cette convergence a influencé la manière dont les compositeurs, désormais, conçoivent leur art. Zumthor rappelle que John Cagementionnait dans un de ses cours qu'il n'est «pas un compositeur qui entend de la musique dans son esprit puis essaie de la transcrire mais procède autrement en travaillant concepts et structures puis les jouent pour découvrir leurs sons.» Reprenant cette approche à propos de l’architecture, il suggère que de poser des questions sur des sujets, à priori, si peu visuels que site, but et matériaux de constructions, peut conduire à une conception architecturale, qui, tout comme les œuvres de Gage, possède le potentiel de trouver une audience que ce soit pour la musique ou l'architecture, à un niveau bien plus profond que «l'arrangement de formes stylistiques préconçues.» Volontairement, Zumthor restreint sa lecture de l'architecture à une expression matérielle qui crée un lien résonant à la musique. Il écrit que

l'architecture est toujours une affaire concrète,
elle n'a rien d'abstrait. Un dessin projeté
sur le papier est à peine de l' architecture
mais une simple représentation,inadéquate
comparable à une partition musicale. Elle doit
se jouer comme l'architecture s'exécute.
Alors seulement, son corps peut s'incarner et
il est toujours sensuel.


La perception sensuelle de la symbiose entre ces composants fondamentaux que sont l'espace et le son demande un récepteur actif aux perceptions en éveil envers les deux éléments. Un exemple issu des arts peut nous aider à illustrer cette relation symbiotique. En 1977 durant l’événement international Documenta 6 à Kassel, l'artiste Joseph Beuys (1921-1986) installe l’exhibition principale dans l'espace Fridericianum, une pompe qui transporte par un long tuyau transparent de l'escalier de la cave jusque bien au milieu du troisième étage, dénommé Université Libre Internationale, utilisé par l'artiste pour des conversations impromptues avec les visiteurs de l'exposition et les habitants de la vie à propos de la dimension sociale de l'art. Pendant ces longues conversations, les participants pouvaient voir et entendre le miel couler dans les tuyaux en plastique qui devenait parfois immobile et puis recommençait à couler, d'un coup, avec un grand slurp, en se pressant dans le tube, un peu comme les discussions de Beuys et de son audience. Ici, le son sert un peu simultanément d'interrupteur de routine, d'exposition d'art et d'expression symbolique de la difficulté d'improviser une conversation verbale. Les conventions complices s'instituent alors que nous tendons de prendre en mains des sujets difficiles. Une absence à la perception est ainsi impossible dans ces circonstances. Une approche plus direct de la musique et de l'architecture peut être localisée dans le travail de l'artiste en sonsBernhard Leitner (1938...) qui, initialement, étudia l’architecture à Vienne puis déménagea à New York en 1968 mais est aujourd'hui de retour à Vienne. Il représente un des premiers artistes à concentrer son attention sur l'esthétique spatiale du son. Sa méthode de représentation visualise le chemin du son dans l'espace en dessinant des lignes continues et interrompues avec des flèches sur des photographies qui décrivent habituellement une situation simple ou un mouvement mené par un environnement sonore altéré, outil utile mais inadéquat pour communiquer son art. Pour rendre son travail plus accessible aux auditeurs qui ne peuvent reproduire ses installations techniques, Leitner a publié en 2003 un disque compact Kopfräume-Headscapes qui demande à l'auditeur de porter un casque sonore pour percevoir l'effet des sons enregistrés qui tourne autour de sa tête. Ses expériences peuvent inspirer les architectes et les musiciens à emprunter les idées de ses conceptions qui vont de l'espace libre aux meubles, aux objets vestimentaires etc... Leitner admet qu'il n'est pas très intéressé à l'usage de la musique dans son travail parce que le cerveau «est immédiatement distrait si des paramètres musicaux sont présents. Pour moi, il est important que ces sons ne soient pas musicaux.» Bien sur, la présence de la musique est conditionnée culturellement et ouverte au changement. Bernd Schulz souligne:



En ce qui concerne la musique, le son et le bruit 
sont physiquement une seule et même chose qui
peuvent être compris par l' intégrale de leurs sinus.
Tout ce qu'on peut dire c'est que le nombre de
fréquences inclus dans les événements acoustiques
acceptés comme «des sons» est limité alors que
le «bruit» comprend pratiquement toutes les
fréquences dans la gamme de l'oreille humaine.


Cette définition vague, que l'art du son de Leitner qualifie de musique même si il en pense autre chose est peut-être utile pour rappeler que notre réception du son en général et de la musique en particulier est conditionnée spécifiquement sur un plan culturel. Par exemple quand l'acteur Joe Pesci, une fois de plus en prison pour avoir manquer de respect au juge de la petite ville dans la comédie de 1992 My Cousin Vinny. Il dort bien malgré la clameur des prisonniers qui l'entoure, le bruit des sirènes et les cris des gardiens feraient n'importe qui se dresser sur sa couchette. Pour Vinny qui n'entend pas les sons de la campagne tellement il est habitué aux bruits grossiers de New York, ce qu'il doit entendre en prison ressemble à une rengaine, c'est alors qu'il n'est pas temps de dormir.



Conclusion



J' entend le son de l'espace, les matériaux répondent au battement, 
à la frappe et le silence, prérequis de l'écoute.


Récemment la résonance créative entre l’architecture et la musique a commencé à porter ses fruits dans des endroits inhabituels. Par exemple chez le Groupe Technique Musical à l' Université Pompeu Fabra de Barcelone, qui a créé un élément d'ameublement interactif , le reactable permettant à l'utilisateur, avec l'aide d'un synthétiseur audio, d'un logiciel libre et de quelques composants électroniques sélectionnés de métamorphoser son environnement audio spatiale propre en événement musical et architectural. Un apprentissage intuitif sans manuel ni instructions autorise une interaction ludique entre le son et l'espace. Un autre groupe qui travaille en Suisse, Pe Lang et Zimoun ont conçus ces dernières années une série de musique architecturales usant de simples objets mécaniques tels des électro-aimants, des plaques métalliques, des accouplements excentriques, du papier, des senseurs. L'effet produit un curieux mélange de sophistication et de jouabilité qui rend l'intersection du son et de l'espace accessible au nouveau venu dans le genre. Leur site web à l'esthétique attrayante comprend des vidéos intelligentes et un dossier leur approche pratique et théorique de ce mariage interdisciplinaire.



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