12/07/2014

Dette à Cezanne

Quiconque a survécu à la dernière décade du 19°siècle, ne peut nier, que naquit, avec la maturité de Cezanne, un mouvement neuf dont on peut discuter sans pouvoir s'en faire une opinion déterminée. Pour autant qu'on puisse dire qu'un homme inspira toute une époque. Bien que Cezanne inspira le mouvement contemporain de façon décisive, il reste éloigné de tous par son ampleur et ne trouve sa place dans aucun courant esthétique de l'époque puisque qu'il est impossible à ranger dans les catégories académiques préparées de manière si réfléchie par nos soins et par les évolutionnistes. Il passa la plus grande partie de sa vie sans se faire remarquer ce qui le désola de son obscurité et personne ne sembla deviner ce qui se passait. Il est aisé, aujourd'hui de constater ce que Gauguin et Van Gogh lui empruntèrent mais en 1890 année de la mort de celui-ci, il en était tout autrement. Néanmoins certains regards aiguisés discernèrent, avant l'aube du 20° siècle l'œuvre fondatrice de Cezanne. Ce mouvement est encore jeune mais je peux dire avec certitude qu'il produisit autant de bon art que ses prédécesseurs. Cezanne, naturellement, créa de bien plus grandes choses qu'aucun des impressionnistes et Gauguin, Van Gogh, Matisse, Rousseau, Vlaminck, Derain, Herbin, Marchand, Marquet, Bonnard, Duncan, Grant, Maillol, Lewis, Kandinsky, Brancusi, , Roger Fry, Friesz, Goncharova, Lhote sont des Roland pour les Olivier de toutes les autres périodes artistiques. Ils ne sont pas tous de grands artistes mais tous artistes, ils le sont. la production impressionniste augmenta considérablement le patrimoine général (de 1/500.000 à 1/100.000), les post-impressionnistes, puisqu'il est tout à fait acceptable de nommer ainsi le groupe d'artistes vigoureux qui suivirent les impressionnistes augmentèrent à leur tour ce pourcentage. A ce jour, j'ose dire qu'il en est à 1/10.000 Voilà ce qui amène, certaines personnes, à voir dans ce nouveau mouvement, l'aube d'un nouvel âge; il n'est rien de plus caractéristique pour un mouvement "primitif", que la reproduction fréquente et répandue d'un art authentique. Un autre brin, plein d'espérance, que la sanguine saisit, est la puissance admirable de développement que possède la nouvelle inspiration munie de sa règle de reconnaissance édictant que cet art est contenu dans sa propre fin. Aussitôt, les pontifes découvrirent l'impressionnisme à l'âge de vingt ans, ils l'académisèrent. Ils se voilèrent la face devant le progrès et conduisirent des étudiants de talent et plein de vitalité à la révolte et au suicide esthétique. Avant que l'inspiration de Cezanne n'eût le temps de perdre sa dynamique, Matisse et Picasso se l'approprièrent, et elle fut, par eux, modelée par des formes en harmonie avec leurs tempéraments et, immédiatement, elle montra les signe d'une nouvelle métamorphose et permit d'exprimer la sensibilité d'une génération plus jeune. L'Europe se préparait une nouvelle époque ou elle comprit mieux ses critiques destructifs que ses artistes constructifs et elle produisit avent la fin du siècle, l'un des plus positifs et ne le vit pas. Marquait-il ou non le début d'une ascension. Cézanne donna son impulsion à un mouvement dont je vais m'appliquer à montrer les caractéristiques principales. Bien qu'il semble un peu absurde de distinguer un mouvement artistique d'un autre, alors que toute œuvre d'art quel que soit l'âge auquel elle appartient, demeure essentiellement identiques et que les différences superficielles sont les caractéristiques d'un mouvement et possèdent une importance bien plus évidente que celle, douteuse, d'apprentis historiens. Les méthodes particulières de création de formes et les formes spécifiques affectées par les artistes d'une génération propagent d'importantes incidences sur l'art de la suivante. Puisque les méthodes et les formes de l'un peuvent admettre des développements potentiels infinis, alors que celle d'autres n'admettraient rien de plus que de l'imitation. Par exemple, le mouvement du quinzième, commencé avec Masaccio, Uccello et Castagno ouvrit de riches filons qui, comme toujours, s'appauvrirent avec le temps et l' Ecole de Raphaël finit dans une voie sans issues. Cézanne découvrit des méthodes et des formes qui révélèrent un panorama de possibilités à l'horizon duquel aucun homme ne pouvait voir. Sur l'instrument qu'il inventait, des milliers d'artistes, non encore nés, un jour, joueront leurs propres refrains. Nous ne pouvons deviner ce que le futur devra à Cézanne et il est difficile de faire l'inventaire de tout ce que le présent lui doit. Sans lui, les artistes de génie et de talent qui font, aujourd'hui, nos délices par la signification et l'originalité de leurs travaux, seraient restés au port à jamais, non à même de discerner leurs objectifs à défaut de cartes, de gouvernail, de boussole. Cézanne est le Christophe Colomb du continent des formes. Il naquit à Aix-en-Provence en 1839 et pendant quarante ans peignit à la manière de son maître Pissarro. Aux yeux du monde, il apparaissait, pour peu qu'il apparût, comme un impressionniste mineur respectable, admirateur de Manet, un ami sinon un protégé de Zola, un disciple loyal et négligeable. Il était du bon côte, bien sûr, du côté impressionniste, celui d'honnêtes artistes désintéressés contre les pestes académiques et littéraires. Il croyait à la peinture, il croyait qu'elle pourrait être quelque chose de mieux qu'un coûteux substitut à la photographie ou qu'une compagne de la mauvaise poésie. Ainsi, il était, en 1880, pour la science contre le sentimentalisme. Mais la science ne fait ni ne satisfait un artiste et, peut-être, vit-il que les impressionnistes ne purent voir, c'est qu'en peignant des œuvres exquises leur art les menait dans une impasse. Et tandis qu'il travaillait dans son coin de Provence, bien isolé de l'esthéticisme (sic) parisien, du Baudelairisme et du Whislerisme, Cézanne cherchait quelque chose pour remplacer la mauvaise science de Monet et au environs de 1880, il trouva. Cette révélation établissait la continuité entre le 19 et le 20° siècle. C'est en observant un paysage familier que Cézanne le comprit, non comme un mode de lumière ni comme un joueur dans le jeu de la vie, mais comme une fin en soi et l'objet d'une grande émotion. Chaque grand artiste a vu le paysage comme une fin en soi et le reste, c'est à dire comme une forme pure; Cézanne a fait sentir à une génération d'artistes à propos du paysage, qu'il s'agissait de la forme en soi comme signification du paysage et que tout le reste était négligeable.. A partir de ce moment, Cézanne s'appliqua créer des formes qui exprimeraient des émotions ressenties par ce qu'il apprit à voir. La science devint aussi inappropriée que le sujet, Tout, peut-être, vu comme forme pure guette le sens mystérieux, extatique et frémissant. Le reste de la vie de Cézanne est un effort continuel pour capturer et exprimer la signification de la forme. Il existe plus d'un chemin pour mener l'homme à la réalité. Certains y vinrent par une imagination vive et forte, sans autre aide qu'eux même, ils n'eurent besoin d'aucune aide matérielle pour y parvenir. Ils parlaient d'esprit à esprit et passèrent un message de formes qui ne doit rien, sinon son appartenance, à l'univers physique. La race des meilleurs musiciens et des meilleurs architectes n'est pas celle de Cézanne. Il voyagea vers la réalité en empruntant le chemin traditionnel de la peinture européenne, c'est là qu'il découvrit une architecture sublime habitée de l'universel qu'informe chaque particularité. Il poussa de plus en plus loin l'exploration de la forme mais il lui fallait quelque chose de concret comme point de départ. C'est parce que Cézanne arriva à la réalité seulement par ce qu'il vit, qu'il n'inventa jamais de formes purement abstraites. Peu de grands artistes dépendirent plus du modèle. Chaque peinture le mène un peu plus loin vers son but; l'expression complète; et c'est parce qu'il ne s'agissait pas de faire de la peinture, mais bien d'exprimer, à son sens, la signification de la forme dont il s'occupait, il perdait intérêt à son travail après en avoir exprimé autant qu'il avait pu. Ses propres peintures n'étaient pour lui que les degrés d'une échelle qui l'amènerait à l'expression totale. Atteindre à cette idéal fut l'objet de tout le reste de sa vie. Pour lui, chaque peinture est une marche, un moyen, un bâton, le pas d'une porte, quelque chose qu'il était prêt à ne plus regarder une fois son but atteint. Il ne possédait pas l'usage de son art et n'incarnait pour lui que des expériences. Il les jeta dans la garrigue, les oublia dans les champs comme des stèles de hasard laissées à quelque race future de critiques malchanceux. Cézanne est le prototype de l'artiste parfait; il est l'antithèse parfaite du faiseur de tableaux professionnel, du rimailleur ou du violoneux. Il crée des formes car c'est le seul moyen d'accomplir la finalité de son existence, l'expression de son sens et la signification de la forme. Quand on parle d'esthétique, nous balayons ces réflexions et considérons seulement l'objet et son contenu émotionnel, mais quand nous tentons d'en expliquer l'efficience dan tel ou tel œuvre, nous nous tourons naturellement vers l'esprit des hommes qui les ont faites et, chez Cézanne, en particulier, une source inépuisable de suggestions. Sa vie fut un effort constant pour créer les formes ressenties comme un instant d'inspiration. La notion de formule eut semblé absurde. La véritable activité de son existence n'était pas de faire de peinture mais bien d'œuvrer à son propre salut. Heureusement pour nous il ne put le réaliser qu'en peignant. Chaque peinture est destinée à la différence. Il ne songea jamais à se répéter, il ne pouvait rester immobile. C'est pourquoi tant d'artistes dissemblables puisèrent leur inspiration dans son travail. Cela n'implique aucune dévalorisation d'autres artistes vivants quand je dis que la première caractéristique du nouveau mouvement est qu'il dérive de Cézanne. Le monde dans lequel Cézanne évoluait, monde encore agité par la querelle des romantiques et des réalistes parmi des disputes de gens qui ne pouvaient choisir, pour une orange, entre ses pépins et l'Espagne, sourds qu'ils étaient en hurlant au cri de la chauve-souris. L'instinct du romantique lui fait dire qu'il ressent par tout ce qui évoque ou associe. Une rose lui fait songer à de vieux parterres, à des jeunes dames, à un rayon de soleil ou à mille autres choses étranges et gracieuses qui, un jour ou l'autre, tombèrent sur lui ou sur quelqu'un d'autre. Une rose touche à la vie par d'innombrables points délicats, elle intéresse par son passé. Le réaliste, lui, veut vous donner le compte rendu détaillé des propriétés de la rose sagittaire, sans oublier de mentionner le calice en orbe, le tube, les cinq lobes imbriqués et la corole ouverte de cinq pétales ovoïdes. Pour Cézanne, les deux seraient irrecevables puisqu'ils omettent la chose qui comptent, ce que les philosophes appellent "la chose en soi" et qu'il désignent, sans doute, par "la réalité fondamentale.". Et, après tout, qu'est une rose, qu'est un arbre, un chien, un mur ou une barque? Quel est le sens particulier de quoi que ce soit? Certainement, l'essence d'une barque ne conjure en rien pour susciter la vision des nefs d'Argos aux voiles écarlates, alors qu'elles transportent du charbon aux environs de Newcastle. Imaginons la abandonnée, détachée de l'homme, de ses activités urgentes et de son histoire fabuleuse; alors, que reste-t-il à quoi réagissons nous avec émotion?A quoi sinon la forme pure où se dissimule sa signification qui fut la seule quête de l'artiste. La seconde caractéristique est la curiosité passionnée, héritée de Cézanne, pour les choses regardées comme des fins en soi. Ce que je constate, c'est la détermination consciente des peintres du mouvement, de devenir des artistes en chassant le mensonge qui les éloigne de la pureté de la forme. Etre un artiste, pensent-ils, suffit. Hélas combien d'hommes de talent et même de génie ont-ils raté leur vocation véritable en essayant d'être autre chose

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