29/12/2013

UNE EXPÉRIENCE D' ÉMIGRANTS

Houblon, bière et Réforme arrivèrent en Angleterre, en moins d'un an.

 

Les premiers immigrants appelés " les étrangers " par les habitants de Canterbury furent principalement des Wallons conduits par Jean Utenhove et François de la Rivière hors de Flandre en 1548. Calviniste d'aspect, ce petit groupe était, dit Strypes: "le début de l' Église étrangère s'implantant à Canterbury profitant de l'attitude et de l' influence de l 'archevêque Cranmer". Ils possédaient des guides éminents. Hooper écrivit à propos d 'Utenhove : "C'est un homme illustre par sa naissance et ses vertus, fidèle à la vraie religion, entièrement opposé aux égarements du sectarisme. Cranmer, archevêque de Canterbury favorisait des penseurs de la Réforme tels que Martin Bucer, Joa a Lasco et Pierre Martyr. Devant une pareille affluence de réfugiés. Le jeune roi, Édouard VI décerna une charte protégeant toutes les églises protestantes immigrées et les plaça sous la responsabilité de Joa a Lasco en Juillet 1550. La congrégation de Canterbury rendait le culte, probablement dans une chambre du palais de l' archevêque ou aux abords .Quoi qu'il en soit , avec leur reconnaissance officielle, ces Flamands parlant français s'établirent assez pour requérir 4 articles à la magistrature de Canterbury: Soi t à disposer d'une église et d 'un cimetière, pour permettre le libre exercice de leur religion, la permission d'accueillir de nouveaux membres dans la communauté, la permission pour les maîtres d'instruire leurs enfants en français ainsi que la possibilité obtenir des détails sur les négoces par lesquels la communauté se proposait de pourvoir à son entretien. Les horreurs du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572 ouvrirent un nouveau chapitre dans l' histoire des immigrants de Canterbury, des milliers d'entre eux envahirent le Kent et s'installèrent à Rye et à Winchelsea. Et, quoique bienvenus aux yeux de la reine protestante, il devint apparent que les petites villes côtières se remplirent d'une telle façon, qu' Élisabeth ordonna la redistribution des Huguenots. On peut lire dans les minutes municipales de Canterbury datées de 1567 ceci: "Devant cette cour, il est acquis qu'une compagnie des étrangers recevra des habitations et jouira des libertés de cette cité par ordre du conseil de Sa Majesté la Reine, aux conditions à discuter par cette maison". En 1575 , la communauté fût autorisée à utiliser l'église saint Alphage pour ses services. On la trouva trop petite et, soutenus par Matthew Parker, archevêque de Canterbury, ils obtinrent le droit d' utiliser la crypte de la cathédrale, l'oratoire du prince noir, en particulier, comme lieu de vénération. Ceci accomplissant une des demandes de 1574, apporta une confirmation des statuts ainsi que des habitations sûres à Canterbury. Les réfugiés furent bien accueillis par les habitants de Canterbury, une ville qui, d'après Hasted, était tombée " D 'un grande opulence et réputation. ...dans une extrême pauvreté, nudité et décadence" Ils possédaient une multitude de talents par lesquels Canterbury pourrait prospérer à nouveau. Mais étrangers on les appelait et étrangers, ils restèrent pour un certain temps encore. Les différences de langue, de discipline religieuse et d'organisation communautaire les exclurent des libertés de la cité bien qu'ils contribuèrent aux capitations nationales et fournirent même "une loyale brigade de tambours s'entraînant en dehors de la ville". Les mariages mixtes restèrent mal vus par les consistoires modelés sur le modèles calviniste. La cité, divisée en quatre quartiers dirigés par deux anciens et administrés par quatre diacres dont le rôle consistait à visiter les pauvres et, en temps de peste, à remplacer avantageusement leurs précieux maîtres dans le contact avec les victimes. La discipline interne du consistoire s'appliquait strictement, le pénitent répétant la phrase de contrition après l'ancien, et se voyait, ensuite, admonesté. Les fautes se montraient nombreuses et variées depuis Moïse Blondeau qui descendit la rivière en bateau et s'en fut pêcher un dimanche jusqu' Hester Milvrie " partie pour une promenade à Harbiledown avec un Anglais pendant, le service de l'après-midi". L'efficace et autonome Église Huguenote de Canterbury, dont la congrégation fluctuait en nombre, ne vivait pas, quoi qu'il en soit, sans autres problèmes. Le nombre moyen de baptisés pour la dernière décade du seizième siècle de 113 tomba en 1601 à 68 et demeura à peu près égal pendant 30 ans. Beaucoup déménagèrent à Spitalfields Où ils trouvèrent à développer plus profitablement leur industrie textile, d'autres retournèrent vers leurs contrées d'origine encouragés par l'édit de Nantes. Le va-et-vient des immigrés ne cessa jamais et en mars 1635, le maire de Douvres signalait dans une lettre au Lord Gouverneur: "Près de cent hommes, femmes et enfants français et hollandais, tous protestants, certains chargés de biens et de meubles, habitants de Calais mais possédant terres et tenures en Flandre, viennent de débarquer." Le conseil privé déplaça tous les arrivants vers l'intérieur. Les changements de taille des congrégations furent des questions mineures comparées aux attaques lancées par l'archevêque Laud en 1630, voyant comme déviantes et irrévérencieuses toutes les Églises réfugiées, il était déterminé à révoquer tous les privilèges garantis par Édouard IV, maintenus par Élisabeth l et réaffirmés par Charles I. En 1634, les Églises de Canterbury, Sandwich et Maidstone se virent poser trois questions: "De quelle liturgie usent-ils, la liturgie anglaise dite en flamand ou en français?, combien de membre sont-ils nés sujets anglais et ceux-ci se conformeront-ils à l' Église d'Angleterre.?" Les Huguenots ne se manifestèrent pas, même quand l'injonction de Laud leur fut présentée exigeant pour tous les réfugiés de rendre le culte à l'église paroissiale où ils vivaient en enjoignant les pasteurs Huguenots à user de la liturgie anglicane." Une supplique présentée à Charles eut peu d'échos. " L'exécution ne sera pas aussi dure qu'ils ne le craignent." dit Laud qui insista sur la première injonction mais pas sur la seconde, ne voulant pas paraître agir avec faiblesse mais comme aspirant au compromis. les livres de Canterbury ne montrent aucune rupture dans le service ni aucune diminution de fidèles. Beaucoup de réfugiés se rendaient aux deux cultes anglican et huguenot. En 1664 quand Laud fut mené au tribunal, une des charges portées contre lui sera cette irruption aux allures conspiratrices dans la vie des Églises réformées. Pendant cette période tout en subissant le schisme interne des années 1650, l' Église huguenote de Canterbury démontra sa résilience tout en perpétuant son haut niveau de discipline. Pendant l'interrègne, les Têtes Rondes montrèrent leur approbation de l’Église réfugiée, ils laissèrent l'oratoire intact pendant que la cathédrale au-dessus fut mise à sac. En 1662 un ordre du conseil de Charles II permit une pleine renaissance de la liturgie huguenote à Canterbury, l'église dans la crypte fut exemptée de l'acte d'uniformité et tous ses privilèges réaffirmés. Cette charte est encore, aujourd'hui, celle de l' Église Française qui occupe une partie de la crypte. Il ne fait aucun doute que les tisserands wallons et français de la cité cathédrale étaient experts. L'archevêque Parker écrit à Élisabeth I: " Des étrangers si profitables et si aimables devraient être bienvenus et non point grugés." Les talents individuels des réfugiés s'ajoutèrent à ceux de l'industrie du vêtement existante à Canterbury. Pour éviter la compétition, on interdit aux étrangers de fabriquer des tissus semblables à ceux tissés par les Anglais. Les métiers se mirent à tisser d'étroits et rugueux tissus de laine ainsi que d'autres, plus fins, de laine ou de soie. En 1574 Canterbury confirmait les libertés des réfugiés y incluant le droit "de faire des vêtements, des étamines et du tissu d'après la méthode flamande, de disposer d'ateliers et de magasins suffisants pour garder, transborder ou sceller , pour les agrémenter ou les teindre de toutes les sortes de couleurs qui leur conviendra." En 1592 l 'archiviste de la ville note une production à grande échelle de tissus de soie par les réfugiés. Ils devaient soumettre le travail à un officier inspecteur et payer 2 shillings pour sceller les produits du sceau de la ville. En même temps ils trouvèrent un étab1issement fixe dans le vieux réfectoire du couvent des dominicains, vidé par le conflit. "Dans ce magasin, toutes sortes de marchandises peuvent être amenées et vendues par les étrangers." (archives de Canterbury) . La création d'une union de négociants et peigneurs en laine (1599), rehaussée par la présence du consistoire de l Église réfugiée démontra la croissance continuelle de l'industrie. En 1638, les tisserands londoniens obtinrent par Charles I, l' extension de leur charte à toute l 'Angleterre. Suite à 1'opposition de Canterbury, en 1639, le conseil décréta la compagnie des tisserands de Canterbury fut entièrement reconnue par Charles II en 1676, Il décerna aux réfugiés une charte d'incorporation comme ," Compagnie des tisseurs de soie de Canterbury." A cette époque, travaillaient 22.000 tisserands de soie dans la ville dont 1.3OO immigrants. La compagnie se rencontrait une fois par mois dans le couvent des dominicains pour les transactions. Avec l'arrivée de nouveaux immigrants vers 1665, les affaires connurent une nouvelle expansion, un nouveau bâtiment fut établi ou les réfugiés pouvaient contrôler et sceller leurs marchandises eux-mêmes. Des bandes de soie élaborées, tressées d'or et d'argent, au prix de 10 à 2O shillings par yard, produites pour la cour à partir de matières premières d' Italie ou de Turquie. La fin du XVII° siècle vit l'industrie du tissage wallonne et huguenote à son zénith, la prospérité de ceux qui furent jadis poursuivis par la pauvreté peut être vue, encore aujourd'hui, dans leurs maisons, en particulier la maison des tisserands de King's bridge et l'immeuble qui sert de magasin à la King's School, il existe aussi de nombreux autres exemplaires situés rue du palais. Graduellement, les goûts changèrent et on en vint à préférer les soieries et calicots plus légers, meilleur marché, importés de l'Inde. Les tisserands sollicitèrent la protection parlementaire et l'interdiction d'importation de soieries brutes mais les contrebandiers rendirent cette mesure sans effets. En 1715, une pétition des tisserands de Canterbury au nouveau roi, implorait les raccourcissement du deuil public pour la reine Anne : " L 'usage de soieries, portées par la cour en ces occasions de deuil, est généralement de velours noir, de crevés noirs et de mantilles noires qui n'apportent aucun travail à nos pauvres, ils sont manufacturés en Hollande et en Italie, la plupart, par le prix bas auque1s sont vendus échappent, sans doute, à l' impôt du à Sa Majesté," Les tisserands préparèrent des réserves de soie , croyant le deuil terminé pour l' anniversaire de Georges I, mais il dura un an et ils eurent de grosses pertes. Même le développement de la mousseline de Canterbury par John Calloway ne put stopper le déclin et beaucoup partirent pour Spitalfields ou fermèrent leurs boutiques. A la fin du 18°siècle,seuls 10 tisserands restèrent, en 1837 tous les ateliers étaient fermés. L'activité de immigrants peut s'apprécier à sa réussite majeure: la restauration de la richesse et réputation de la ville. " Les étrangers " de bien des façons pleinement intégrés et anglicisés gardèrent néanmoins l'unité et la force de leur foi protestante, demeurèrent peu affectés par le changement. Ils le démontrèrent par la restauration de l'église dans la crypte en 1892, avec un nouveau sol, des bancs, une table de communion, des fonds baptismaux, un orgue et l' éclairage au gaz. Les citoyens de Canterbury gagnèrent au contact des immigrants et il est certain que, dans le Kent, les Wallons et Huguenots trouvèrent ce que l'édit de Nantes ne put offrir: la perpétuelle et irrévocable sécurité, tolérance et protection, une garantie pour une vie normale.

Le procès de Laud

Sources: Tracey Earl,

St. Catherine’s College,

Cambridge

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28/12/2013

Moi, peut-être, un jour...

J'ai beaucoup voyagé dans les régions glacées et beaucoup lu des récits de voyages polaires, mais jamais je n'en ai lu un comme celui-ci. Dans " Moi, peut-être, un jour," le journaliste littéraire britannique Francis Spufford nous offre un panorama des faits et des aléas de l'exploration polaire tout en s'attardant sur le sens à en tirer. Dans de moindres mains, une telle tentative eut pu entraîner baudruche après baudruche. Mais Spufford a l'esprit si engageant avec un regard si précis sur les fous du pôle que ce livre est vraiment un instantané d'une transparence cristalline. Son but est d'expliquer pourquoi, de 1775 à 1913, l'extrême nord et l'extrême sud comptèrent tant pour les explorateurs anglais et pour le public qui suivit avidement leurs progrès. Inutile de dire qu'il n'y a pas de réponse simple; et, comme les héros eux même, Spufford semble révéler davantage en route qu'à l'arrivée. C'est un voyage qui l'emmène de l'argot aux rimes Cockney aux propriétés de 1a vitamine C et des théories fumeuses d'un cosmologiste américain aux ficelles des prouesses de l'explorateur en chambre de classe mondiale: Sir Clements Markham (qui inspira la tentative malheureuse entreprise par Robert Falcon Scott d'arriver le premier au pôle sud.) En chemin, Spufford habite des œuvres de fiction telles que " l'histoire d'Arthur Gordon Pym de Nantucket " de Poe, "Moby Dick" de Melville et plus spécialement "Frankenstein" de Marie Shelley qu'il mêle sans plus de façon à la vie de son auteur avec Percy, son bonnet de nuit de mari. Et où les écrivains. du grand nord les plus imaginatifs tentaient de jouer les mâles exploits héroïques contre le majestueux pari temporel des femmes à la maison. Mary Shelley, écrit Spufford, " fit quelque chose de plus rare encore, elle damna le pôle nord en anatomisant les attractions du vide dans une sensibilité masculine particulière." Romantique, autonome et désirant toujours excéder les limites du corps humain. Tout ceci arriva peut-être parce qu'elle se démarquait calmement, dans "Frankenstein" d'un état d'esprit bien trop familier en la personne de son mari, dont l'idéalisme ne s'embarrassait de conséquences. Sur un plan moins exaltant se situe le bouillonnant John Cleves Symmes qui, dans les années 1830-40 fit le circuit américain de conférences, proposant des interprétations délirantes sur des trous dans les pôles et la terre creuse. Beaucoup rirent de lui mais ils trouva quelques suiveurs qui attribuèrent son accueil moqué à une conspiration officielle. Malgré ces camaïeux littéraires américains et des références sporadiques à la quête de Robert Perry pour le pôle nord, Spufford se concentre sur la passion polaire britannique. Un joli passage et une explication de la condamnation presque universelle du Norvégien Roald Amundsen, comme pillard par les Anglais, pour avoir oser, concourir avec Robert Scott dans la course au pôle sud qui débuta en 1910." Amundsen offensa les vues britanniques sur l'esprit sportif," Spufford écrit: " Il transgressa l'idée que le pôle sud...ne comptait pas comme ailleurs, mais était une sorte d'annexe sauvage de l'Angleterre..." Scott vogua vers l'antarctique dans un corridor impérial, il s'en alla à l'autre bout de la terre sans jamais quitter les scènes que St James's Park en donna. Il passa par les endroits les plus reculés. Ses vaisseaux firent escale au Cap pour avitailler, ensuite à Melbourne où des scientifiques australiens embarquèrent et finalement à Lyttlton en Nouvelle-Zélande pour les arrangements finaux et les adieux. Nulle part sur la route Londres Le Cap-Lyttlton à l'île de Ross, l'expédition ne toucha un port dont la langue anglaise n'était pas maîtresse, Où la monnaie n'était pas du même format, de la même dénomination en Livres, où les officiers n'étaient pas nourris de mouton et de sherry par les notables locaux et où la troupe ne pouvait aller à la taverne. L'ultime trahison, naturellement, fut qu'Amundsen y arriva le premier. Spufford s'aventure un contrepoint magnifiquement maîtrisé de ce fait glacé découvert par Scott. Les géomètres fous avaient raison, Jules Verne avait raison. Il y a quelque chose au pôle sud. C'est un drapeau norvégien. Et pire encore, Amundsen survécut et Scott pas. Roland. Hundford dans un livre appelé "Scott et Amundsen" a mis à mal l'image de Scott en tant qu 'explorateur compétent par la narration brillante des expéditions jumelles. Mais, l'échec de Scott renforce par ces lettres interminables, ces commentaires écrits et enregistrés par lui et ses hommes avant qu'ils ne meurent de faim et de froid à moins de vingt kilomètres de leur prochain point de ravitaillement ont davantage impressionner l' imagination populaire que le succès sans accrocs d' Amundsen. Ainsi, '"moi, un Jour, peut-être" ( ce furent les dernières paroles d'un compagnon de Scott qui, un jour, sortit de la tente en quête d'un suicide qui le soulagerait. L'auteur termine avec une récréation spéculative sur le soliloque mental final de Scott et c'est le numéro de bravoure de l'ouvrage. "Moi, peut-être, un jour "' demande un peu de patience. Il montre, avec évidence, ses origines issues de périodiques. Mais, à la page 50 Spufford atteint son but et y si vous ressentez quelque intérêt pour l'éthologie des voyages extrêmes, vous ne serez pas laisse en chemin.

21/12/2013

Un meurtre au palais épiscopal

Quentin Durward, jeune Ecossais engagé dans la compagnie d'archers écossais de la garde de Louis XI est envoyé, pour conduire Isabelle de Croy, une jeune héritière bourguignonne échappée d'un mariage avec un vieux et laid courtisan de Louis XI afin de la mettre sous la protection de l'Evêque de Liège. Il la sauve de nombreux périls et, finalement, gagne sa main en tuant Guillaume de la Marck, le sanglier des Ardennes. L'histoire s'inscrit dans les intrigues de Louis XI contre Charles le téméraire et de la révolte de Liège (1468). La scène suivante se passe après le détrônement et la capture de l'Evêque de Liège, Louis de Bourbon, par la bande de Guillaume de la Marck et les citoyens rebellés. Il ne pouvait exister un changement plus horrible et plus étrange que celui qui s'était passé dans le corridor du château de Schönwald après que Quentin y eût partagé le repas de midi. A la table, assis sur le trône de l'Evêque, trainé de la chambre du conseil, le redouté sanglier des Ardennes lui-même, qui méritait bien ce nom abhorré qu'il affectait d'apprécier et faisait tout ce qu'il pouvait pour le rendre encore plus redoutable. Sans casque, mais portant le reste de son armure lourde et brillante, qu'il abandonnait rarement, avec sur ses épaules, une forte et large cape, faite de la peau tannée d'un grand sanglier sauvage, munie d'attaches et de nœuds d'argent pur. La peau de la tête de sanglier ainsi arrangée, que "portée par dessus le casque, quand le baron était armé, ou sur la tête nue comme un capuchon ce qui lui arrivait souvent quand il ne l'était pas, telle qu'il la porte maintenant, créait l'effet d'un monstre grimaçant et horrible qu'il abandonnait rarement et qui faisait partie du naturel de son expression ordinaire. Les soldats et les officiers, assis autour de la table, mélangés aux hommes de Liège, dont certains de la plus basse extraction, parmi lesquels Nikkel Blok, le boucher, placé aux côtés du sanglier des Ardennes, se distinguait par des manches relevées montrant des bras tachés de sang jusqu'aux coudes, comme l'était le merlin posé sur la table devant lui. La plupart des soldats portaient des longues barbes en désordre, imitation de celle de leur maitre, avec des cheveux hirsutes et tournés vers le haut de façon à augmenter la férocité naturelle de leurs apparences, et intoxiqués, comme beaucoup d'entre eux semblaient l'être, en partie par la conscience de leur triomphe et en partie par les grandes libations de vin qu'ils avalaient à grandes gorgées, ils présentaient un spectacle à la fois hideux et dégoutant. Le langage qu'ils employaient et les chansons qu' ils chantaient, sans même s'écouter les uns les autres, dégoulinaient de licence et de blasphèmes.


Les préparatifs de la fête furent aussi désordonnés que la compagnie.Toute la vaisselle d'argent du Prince, et même la vaisselle sacrée, ce que le sanglier ne percevait pas du tout. comme un sacrilège, se trouvait mélangée à des dame-jeannes, à des outres de cuir et à des cornes à boire des plus ordinaires. Un frisson s'éleva quand l'Evêque de Liège, Louis de Bourbon se trouva trainé dans le corridor de son propre palais par une soldatesque brutale. L'état de sa barbe et de ses cheveux témoignait des mauvais traitements déjà reçus et quelques uns des vêtements sacerdotaux dont il était affublé semblaient le revêtir de manière à ridiculiser sa fonction et son caractère. La scène qui suivit fut courte et effrayante. Quand le malheureux prélat fut tiré aux pieds de la chaise de ce chef sauvage, cet homme autrement remarquable par son tempérament conciliant et sa bonne nature, montra en ces instants déplorables, une noblesse digne de la vieille race de laquelle il descendait. Sa tenue était composée et sans crainte; ses gestes, quand les rudes mains qui le poussaient en avant enfin le lâchèrent, demeurèrent nobles et résignés à la fois, dans une attitude tenant de l'aristocrate féodal et du martyr chrétien. A ce point que de la Marck lui-même se trouvait étonné par un comportement aussi ferme du prisonnier qui lui rappelait les indulgences données jadis, là, sa résolution faiblit,il baissa les yeux et c'est seulement après avoir bu un grand gobelet de vin d'une manière insolente, qu'il s'adressa à l'infortuné captif : " Louis de Bourbon," dit le féroce soldat respirant fort et serrant les poings, grinçant des dents en usant aussi d'autres actions mécaniques pour augmenter et maintenir la férocité native de son tempérament, " J'ai recherché ton amitié et tu l'as rejetée, que ne donnerais tu pas pour qu'il en soit autrement aujourd'hui!...Nikkel, tiens toi prêt." Le boucher se leva, saisit son arme et attendit derrière le trône du sanglier. "Regarde cet homme, Louis de Bourbon," répéta de la Marck, "Que m'offres-tu pour échapper à ton supplice?" L'Evêque jeta un regard mélancolique mais impavide sur l'affreux satellite, qui se préparait à exécuter la volonté du tyran et dit avec fermeté: " Ecoute-moi, Guillaume de la Marck et vous bonnes gens, si il y a quelqu'un qui mérite ce nom, écoutez ce que seulement j'offre à ce bandit: Guillaume de la Marck, tu as livré à la sédition une cité impériale, tu as pris d'assaut le palais d'un Prince du Saint Empire Romain Germanique, égorgé son peuple, pillé ses biens, maltraité sa personne; pour ceci, tu seras banni de l'Empire et déclaré hors-la-loi, fugitif, sans terre et sans droits. Mais tu as fait encore bien plus que tout ceci, tu as tellement trahi les lois des hommes que leur vengeance te poursuivra pour toujours, tu as brisé le sanctuaire du Seigneur, porté des mains pleines de violence sur un père de l'Eglise, souillé la maison de Dieu de sang et de rapines, comme un voleur sacrilège."

" As tu fini maintenant ? " dit de la Marck l'interrompant brusquement en tapant du pied "Non ", répondit le prélat , " Je ne t'ai pas énoncé les termes que tu m'as demandé." "Vas-y", dit de la Marck, et j'espère qu'ils me plairont plus que ton préambule, ou malheur à toi, tête grise." Il se rejeta en arrière sur son siège, grinça des dents jusqu'à ce que de la mousse sortit de ses lèvres comme de la gueule du fauve dont il portait le nom et la dépouille. " Voilà tes crimes," reprit l'Evêque avec une calme détermination," Ecoutes les termes par lesquels en tant que prince charitable et que prélat chrétien, oubliant toute offense personnelle et toute injure particulière, voici ce que je condescend à offrir. Disperse tes chefs, renonces à ton commandement, libère les prisonniers, restitues les pillages, distribues ce que tu détiens pour soulager ceux dont tu as fait des orphelins et des veuves, revêts un sac, prends ton bâton de pèlerin et pars en pèlerinage à pieds nus à Rome et nous intercèderons pour toi devant la Diète Impériale de Ratisbonne et avec l'aide de Notre Saint Père Le Pape, peut-être pourrions nous sauver ton âme misérable." Pendant que Louis de Bourbon parlait ainsi sur un ton aussi décidé que s'il occupait toujours le trône épiscopal et comme si l'usurpateur se trouvait suppliant à ses pieds, le tyran se redressa lentement dans sa chaise, l'étonnement dont il était d'abord rempli se transforma graduellement en rage, quand l'Evêque cessa son discours, il regarda Nikkel Blok, leva son doigt sans dire un mot. Le scélérat frappa comme s'il faisait son office à l'abattoir et l'Evêque assassiné, s'écroula, sans un cri, au pied de son propre trône.

 

 

(...) Walter Scott, Quentin Durward, 1823.

 

Louis de BOURBON - Prince-Evêque de LIEGE - né 1437 - + assassiné Liège 1482 - 3 enfants: Pierre de BOURBON, Baron de BUSSET - Fils illégitime de Catherine d'EGMONT - né aux Pays-Bas 1464 - + 1529 - m.1498 Marguerite de TOURZEL d'ALEGRE, Dame de BUSSET (+ 1531) - Il fit la branche des Comtes de BOURBON-BUSSET qui existent encore actuellement Louis de BOURBON - Fils illégitime de Catherine d'EGMONT - né 1465 Jacques de BOURBON - Fils illégitime de Catherine d'EGMONT - Grand Prieur des Jésuites en France - né 1466 - + 1537